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Réunion au sommet !

Le directeur nouveau la préside, sans pour autant me faire de l'ombre, à moi qui le prédécessa. Assis côte à côte à la vaste table des conférences, nous constituons désormais une hydre à deux tronches ; j'apprécie son comportement. Il est rarissime qu'un roi partage sa couronne spontanément et avec autant de gentillesse.

Tout l'état-major est laguche pour, a bien précisé Mouchekhouil, « avancer la main dans la main en évitant de mettre les deux pieds dans le même sabot ».

Pour commencer, je me livre à un résumé suce-seins de l'affaire. N'after quoi, Bingo en tire un premier faisceau conclusif.

A savoir que Pamela Grey a été attaquée gare du Nord pour provoquer la venue de son père à Pantruche. Il tique lui aussi sur la promptitude « d'exécution » des gens qui s'en sont pris au « roi du blé ». La façon dont ils ont utilisé sa fille pour l'appâter, puis dont ils les ont liquidés, révèle une bande sérieusement organisée. Ces gens pratiquent la politique de la « terre brûlée » : à preuve, le rapt du jeune témoin et la tentative d'assassinat contre M. Félix.

Là, je place un drop-goal d'un coup de saton magistral, interrompant le discours de mon co.

- Y a comme un défaut ! laissé-je tomber.

- Vraiment ? s'inquiète Bingo.

- Nous avons communiqué aux médias le nom du père Félix, mais pas celui du môme Charretier. Comment, alors, les tueurs ont-ils eu connaissance de son existence ?

Mes auditeurs, dirluche en tête, restent cois.

- S'ils ont pris au sérieux le pseudo-témoignage du vieillard, poursuis-je, c'est parce qu'ils ignoraient le rôle de Paul-Robert. C.Q.F.D.

Le silence de l'assistance se prolonge.

- Effectivement, finit par convenir mon suce-cesseur.

Mes arrière-pensées butinent mon esprit avec un acharnement d'abeilles désireuses d'en mettre un rayon. Me viennent des bribes d'idées, des projets de déduction ; rien de bien solide encore. Faut que cela s'assemble.

- Je crois, soupiré-je, que nous devrions remettre cet os à plus tard et poursuivre ce tour de table.

Approuvé !

Je passe le micro à l'ineffable Rouquin, drôlement hurff dans un costard de velours noir qui met en valeur le Van Gogh lui tenant lieu de perruque.

- Qu'ont donné les relevés d'empreintes effectués dans la chambre de miss Grey ?

Là, il biche, le Prix Cognacq de la grosse veine bleue ! C'est son instant. Il l'attendait en promenant sa dextre attaquée par les acides sur le zoizeau frétilleur embusqué à l'orée de sa braguette.

Il déclare, avec la voix qu'avait Adolf Hitler quand il vendait des croix gammées en chocolat sur les marchés, au moment des fêtes de Noël :

- Je suis en mesure de fournir l'identité des hommes qui ont tué Pamela Grey.

D'exaltation, Bingo faillit actionner le système éjectable de son dentier.

- En vérité ! s'exclame-t-il.

Le Rouque ouvre la chemise en bristol rouge placée devant lui.

- Grâce aux empreintes, je puis, sans le moindre doute, affirmer qu'il s'agit de deux repris de justice notoires. L'un se nomme Angelo Angelardi. C'est un élément de la Mafia sicilienne exilé en France où il s'est livré à des actions de grand banditisme. Condamné à quinze ans de réclusion pour le meurtre d'un convoyeur de fonds, évadé de la centrale de Poissy.

« Le second ne vaut guère mieux. Il s'appelle Pierre Labé, natif de Saint-Malo, accusé de meurtre et de tentative d'assassinat, il est surtout connu pour ses viols à caractère monstrueux. Il accède au plaisir en découpant les seins de certaines filles au système mammaire surdéveloppé. Peu lui chaut l'âge et la beauté de sa victime, seul le volume de sa poitrine l'intéresse. Il ne tue pas les femmes martyrisées par ses soins, si j'ose parler ainsi. Une fois assouvi, il leur demande même pardon de les avoir saccagées. Il lui est arrivé de pleurer à la vue de son forfait. »

Ayant dit, le Blondirouge fait circuler les photos des deux messieurs.

Tu t'attends à voir des frimes de forbans, mais tu en es pour tes frais. Bien que ce soient des portraits de l'Identité judiciaire, ces gueules paraîtraient normales, voire avenantes, n'était le regard des inculpés. Le Rital possède des quinquets impassibles, tant tellement qu'ils font froid aux valseuses. Les falots du Breton seraient plus expressifs, mais il y brille une lueur qui inciterait un usurier syrien à léguer ses biens à une œuvre caritative, plutôt que de le laisser entrer dans sa boutique.

Le dirluche en titre interroge :

- Un mandat d'arrestation a été lancé contre ces individus, je gage ?

Il gage bien, Bingo, en oubliant une chose : c'est que les archers de la République ont tous, depuis des mois, une affichette reproduisant les frimes de ces gentlemen dans leurs poulaillers.

- Il va falloir intensifier les recherches ! fait-il doctement. Nous allons vous donner de gros moyens pour battre en brèche ces convicts. C'est la mobilisation générale ! L'hallali !

Tiens, il me rappelle le Vieux dans ses grandes périodes de péroraison glandulaire. C'est Achille sans son côté Grand Siècle.

- Je veux un filet aux mailles fines, messieurs, qu'un goujon ne saurait franchir ! Pas de cadeau pour ces sanguinaires. Ils bougent un cil, vous tirez ! Ce sont nos instructions, à San-Antonio et à moi ! Cela dit, il serait préférable de s'emparer d'eux vivants ; n'oubliez pas qu'ils détiennent un adolescent en otage...

Dislocation de l'assemblée.

- Vous paraissez rêveur ? s'inquiète Mouchekhouil.

- Il y a de quoi réfléchir.

- J'en conviens. Quel est votre sentiment ?

- Réservé. Nous avons affaire à des malfrats pas comme les autres. Il est évident que le coup vient des States et que les « manipulateurs » ont engagé de la main-d'œuvre européenne.

- C'est bien mon avis. Ne pensez-vous pas qu'il faille prendre contact avec le F.B.I. ?

- Si vous voulez que l'enquête nous échappe, il n'y a rien de mieux à faire !

Mon successeur opine.

- Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul, rostande-t-il.

- Vous avez tout compris, acquiescé-je en me levant.

***

Toujours escorté de Jérémie, je passe prendre des nouvelles de notre malheureuse collègue, sauvagement agressée au chevet de la fille Grey.

État sérieux mais satisfaisant, m'assure l'interne de service en nous drivant à son chevet.

Fectivement, la courageuse femme repose sur sa couche blanche souillée de son sang généreux. Elle me reconnaît et un gentil sourire fleurit ses lèvres desséchées. Sa tronche enrubannée de gaze ne laisse disponibles qu'un œil et la bouche.

Je presse ses doigts posées sur le drap, prononce des paroles réconfortantes garantisseuses de promo.

- Vaillante amie, attaqué-je-t-il dans la nuance, avez-vous la force de me raconter ce qui s'est passé ?

- Bien sûr, répond cette gazelle foudroyée. Au cours de la nuit, une infirmière et deux de ses collègues sont entrés dans la chambre. L'un d'eux poussait un appareil à roulettes. L'autre est venu sur moi, a sorti un instrument de sa blouse et m'a asséné un coup sur la tête. J'ai à moitié perdu conscience, pas suffisamment cependant pour ne pas sentir sa main entre mes cuisses et entendre l'infirmière lui dire : « Vous croyez que c'est le moment ? » Alors il a retiré sa main, puis m'a frappée à nouveau sur le crâne et je me suis évanouie.

- Avant de perdre connaissance, vous avez eu le temps d'apercevoir ce que faisaient les deux autres ?

- Le second type était penché sur la blessée et la femme ouvrait l'armoire pour prendre les vêtements de l'Américaine.

- Elle les fouillait ?

- Non ; les empilait dans un sac de plastique, genre poubelle.

In petto, je me traite de blatte écrabouillée. Quelqu'un de nos rangs a-t-il seulement eu l'idée d'explorer le meuble pour y examiner les fringues de l'assassinée ? Non, bien sûr ! Une fille morte dans un plumard de clinique, t'as pas une pensée pour ses harnais, ils ne sont plus à l'ordre du jour.

- Merci de votre témoignage, mon chou, gazouillé-je. Lorsque vous serez en mesure de sortir, nous arroserons ça !

- C'est vrai ? qu'elle balbutie, émerveillée par cette perspective.

- Promis ! En attendant laissez-vous bien soigner.

Napoléon pinçait l'oreille de ses grognards en guise de gâterie. Moi, je fais mieux, j'évasive de la main sur ses mamelons qui ont tendance à choisir la liberté. Elle doit en rougir sous ses pansements, la darling.

- Et tu prétends vouloir épouser Marie-Marie ? murmure ce fumelard de négro, une fois dehors.

Sa remarque me produit l'effet d'un verre d'eau froide en pleine gueule.

Je m'arrête sur le revêtement de caoutchouc qui absorbe le bruit de nos pas.

Cette réflexion se fiche dans mon âme. C'est vrai que j'avais déjà oublié la Musaraigne. Il n'existe plus pour moi, désormais, que « notre » fille fabuleuse. Le temps et ses deux époux ont tué doucement nos amours d'autrefois, à Marie-Marie et à moi. Dans le fond, j'étais dingue d'une gamine délurée, à l'innocence pathétique. Elle est devenue une riche bourgeoise chic, sachant contrôler ses sentiments et programmer sa vie.

Seigneur, cette bouffée de détresse qui m'envahit à toute volée ! Va falloir que je m'accroche fort à m'man, à mon turbin, à mes potes et, surtout, oui, surtout à la petite.

Le Noirpiot qui pige tout, met sa dextre puissante sur mon épaule.

- Pardonne ma maladresse, fait-il, je t'ai blessé.

- Non, non, ce n'est rien, j'articule, il fallait bien que je prenne conscience des réalités.

Voilà ; je respire un grand coup. Très importants, les soufflets. Quand ils fonctionnent mal, le reste ne suit plus.

Bref conciliabule entre Jéjé et moi.

Nous mettons le cap sur le collège Poirot-Delpech.

Toujours bien ameublir le terrain avant de bâtir.


Trempe Ton Pain Dans La Soupe
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